Le christianisme de la grâce

Voici un très bel article d’André Fossion qui nous invite et nous appelle  à accueillir la bénédiction d’un Dieu qui nous aime inconditionnellement, à accueillir sa donation de grâce.

« ‘ De sa plénitude nous avons tous reçu grâce après grâce’  (Jn 1, 16)

L’histoire de l’Église manifeste différentes manières de vivre et de penser la foi chrétienne. Pour éclairer notre mission d’évangélisation aujourd’hui, distinguons ici trois figures de christianisme. »

Le christianisme de la loi.

« C’est le christianisme qu’ont appris et vécu nos grands-parents et, avant eux, bien des générations antérieures. C’est le christianisme du triple « il faut » que scandaient les petits catéchismes classiques : les vérités qu’il faut croie, les commandements qu’il faut observer, les sacrements qu’il faut recevoir. Toute la vie chrétienne apparaissait ainsi comme un ordre à observer, comme un impératif à honorer, comme une conformité à respecter, bref, comme une obéissance à Dieu et à L’Église. Ce christianisme a éduqué et affiné la conscience de nombreuses générations. Beaucoup y ont trouvé un guide et y ont reconnu non point seulement un devoir, mais un idéal de vie qu’ils se sont efforcés de remplir avec fidélité et, reconnaissons-le, avec suffisamment d’amour et de liberté pour s’en trouver heureux. Mais, on le sait, ce christianisme d’observance a engendré également bien des consciences malheureuses, enfermées qu’elles furent, en dépit de la Bonne Nouvelle évangélique, dans l’image d’un Dieu Juge, dans l’obsession de la faute et dans la peur de l’enfer.

Même s’il n’est plus dominant, ce christianisme de la Loi est toujours vivant en nous comme une couche de nous-mêmes que nous portons en héritage et qui, en certaines circonstances, peut refaire surface avec force. Soulignons aussi qu’il est toujours également bien présent dans la mémoire profonde de ceux-là mêmes qui s’en sont éloignés pour vivre, parce qu’ils l’ont éprouvé de plus en plus comme étouffant plutôt que libérateur. Dans leur éloignement même, ils en gardent, durablement et sans retour possible, un souvenir amer. Aujourd’hui, pour nos contemporains, particulièrement pour les jeunes, ce christianisme de la Loi paraît bien peu apte à susciter le goût, le désir, la joie d’être chrétien. »

Le christianisme de la promesse

« C’est le christianisme de tous ceux-là qui trouvent dans le message chrétien, non pas un devoir à accomplir, mais un appel à s’engager librement dans le monde pour le rendre meilleur en y témoignant de la puissance libératrice de l’Évangile. C’est le christianisme du militant, des mouvements d’Action catholique, des organisations caritatives, des communautés de base qui, au nom de l’Évangile, prennent résolument en charge les causes humanitaires et les défis sociopolitiques de la société, dans un esprit de service particulièrement des plus pauvres. Ce christianisme est un christianisme d’action, d’engagement qui s’efforcent de rendre présentes, autant que possible et dès maintenant, les promesses du Royaume dans l’espérance qu’elles s’accompliront définitivement à la fin des temps.

Cet engagement pour un monde meilleur est constitutif de la vie chrétienne et de la mission d’évangélisation. Que serait, en effet, le témoignage rendu à l’Evangile s’il ne prenait pas corps dans l’action pour la transformation du monde ? Pourtant, sans rien renier de son importance ni de son urgence, force est de reconnaître que ce christianisme de la promesse, considéré ou présenté isolément, ne suffit pas. D’abord, parce que la militance s’avère aujourd’hui difficile dans un monde indépendant, extrêmement complexe qui est gouverné par des logiques économiques implacables devant lesquelles les individus se sentent bien souvent impuissants. Ensuite parce que l’engagement pour la transformation du monde nécessite au préalable des convictions fortes qui ne viennent chez les sujets qu’après qu’ils aient traversé personnellement des questions existentielles concernant le sens de leur vie, leur quête d’identité et leur intégration dans leur environnement social immédiat. C’est pourquoi dans la mission d’évangélisation, il nous semble opportun aujourd’hui, de mettre en valeur une troisième forme de christianisme, celui de la grâce. »

Le christianisme de la grâce.

« Ici, être chrétien, ce n’est pas d’abord accomplir un devoir ou agir pour un monde meilleur, mais c’est, avant tout, en toutes circonstances et sans condition préalable, recevoir un don gratuitement offert. L’annonce évangélique, en effet, nous dit qu’une relation de « grâce » avec Dieu nous est donnée et que nous sommes invités à la vivre, à l’étendre autour de nous, dans toutes nos relations humaines. Mais en quoi consiste donc cette relation de grâce ? Le champ lexical du mot le suggère. C’est une relation empreinte de gratuité (gratis), de pardon (gracier), de plaisir (agrément, agréable), de reconnaissance (gratitude), de fine douceur (gracile) et de beauté (gracieux). Notons que le mot latin gratia a son correspondant grec charis que l’on retrouve dans les mots « charité », « charisme », « eucharistie ».

Ainsi, ce à quoi le message chrétien nous invite, c’est à la reconnaissance au plus intime de nous-mêmes de cette donation de grâce ; une grâce plus originelle que le péché, une grâce qui, en toutes circonstances, en dépit de nos fautes, au creux même des malheurs et des souffrances qui peuvent nous atteindre, nous tient debout, nous maintient, nous relève ou nous restaure dans la dignité de fils et filles de Dieu. C’est cette grâce que l’Evangile de Jésus-Christ annonce pour notre joie. S’il est dans notre pouvoir de nous couper de l’amour de Dieu, il n’est cependant pas dans notre pouvoir d’éteindre l’amour de Dieu pour nous. L’œuvre de Dieu, c’est de nous arracher à l’enfer dans lequel nous pouvons nous mettre, et non de nous en menacer ou de nous y plonger. Car Dieu ne peut qu’aimer. « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Rom 8, 39). »

« Si tel est l’amour de Dieu pour nous, vivre en chrétien consiste d’abord et avant tout à « RENDRE GRACE », à s’estimer soi-même sous le regard aimant de Dieu et à laisser se déployer en nous notre condition de fils et de filles de Dieu. comme dit Saint Paul, « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves qui vous fait vivre dans la peur, mais un esprit de fils adoptifs qui nous fait écrier : Abba ! Père » (Rom 8, 15). Se reconnaître aimé de cette manière, sans condition, donne à la vie des ailes. Cela dilate l’existence. Nos propres fautes se trouvent relativisées et nous sommes libérés d’une culpabilité morbide qui nous renferme sur nous-mêmes. La grâce de Dieu, en toutes circonstances, nous restaure dans l’amour de nous-mêmes et nous ouvre toujours à nouveau un avenir d’espérance. Ainsi, par la grâce de Dieu, sommes-nous conduits aux aspirations les plus hautes que nous ne pourrions nourrir par nous-mêmes.

« Rendre grâce » fait de la vie chrétienne non point une observance craintive, mais une sagesse, un art de vivre. Le salut apparaît ici comme l’écriture de notre vie avec Dieu. cette écriture de notre vie – cette autobiographie – n’est jamais close ; de par la grâce de Dieu qui nous accompagne sur le chemin, elle peut être toujours relue, reprise, sauvée. Cette écriture de notre vie constitue en quelque sorte une nouvelle page d’évangile ; celle que nous écrivons en traçant notre existence personnelle dans la force de l’Esprit, avec joie, imagination et liberté. »

« Ce christianisme de la grâce assume les deux autres dimensions de loi et de promesse dont il a été question plus haut, mais dans une nouvelle perspective. La grâce, en effet, touche les sujets au plus intime d’eux-mêmes, mais, pour autant, ne les éloigne pas de l’engagement, de l’action pour la transformation du monde. Au contraire. Car la donation de grâce confère à tous les êtres humains quels qu’ils soient, quelle que soit leur histoire, la plus haute dignité et promesse. Vivre en grâce sera donc s’engager avec d’autant plus de détermination dans le combat pour que soient établies, autant que possible, les conditions sociales qui correspondent à la dignité et à la vocation d’éternité de tous les êtres humains, surtout là où ces conditions font le plus défaut.

Quant à la Loi, elle est aussi reprise, non plus dans une perspective craintive d’observance, mais en tant qu’elle participe au dynamisme de la grâce, comme principe de vie, au service de la dignité humaine. La Loi, lès lors, n’est plus éprouvée comme un commandement à observer, mais comme le fruit d’une histoire de salut, d’une alliance sans domination, d’une libre écriture toujours en cours de l’homme avec Dieu.

Le problème majeur de l’évangélisation aujourd’hui est de rendre le christianisme non seulement intelligible, mais, bien davantage, désirable, bon pour la vie. La vie chrétienne trouve sa source dans une Bonne Nouvelle. N’est-elle pas, dès lors et avant tout, à savourer ? »

André Fossion Une nouvelle fois. Vingt chemins pour recommencer à croire Ed Lumen vitae 2003

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